Dévoilé le 20 mai, le gouvernement Borne arrive au pouvoir dans un contexte économique tendu en raison de l’inflation et du coup d’arrêt à la croissance. Pourtant, les économistes sont, globalement, plutôt positifs pour la France, tout comme la Commission européenne dans ses dernières prévisions. «L’économie française s’est relativement bien tenue pendant la pandémie. Plus particulièrement, le marché du travail, habituellement son point faible, évolue assez favorablement depuis quelques années. De manière relative, il semble y avoir peu de raisons de s’inquiéter pour l’économie française», écrivait en avril Dirk Schumacher, économiste Europe de Natixis, dans une note sur l’exception française.
En termes de croissance, le PIB français a progressé de 7% en moyenne en 2021 (après -8% en 2020) et 5,3% fin mars en rythme annuel. A comparer aux taux de 2,9% et 3,7% pour l’Allemagne, de 6,6% et 5,8% pour l’Italie, de 5,1% et 6,4% pour l’Espagne. Le taux de chômage est revenu à un niveau historiquement bas de 7,3%, et le taux d’emploi à un niveau record depuis les années 1970, de 68% – seule l’Allemagne fait mieux, avec 5% et 77%, parmi les grandes économies de la zone euro. «Ce dynamisme de l’emploi est imputable pour moitié au rebond des créations d’emplois dans les secteurs les plus affectés par la crise du Covid (restauration et l’intérim), et à une amélioration en cours de l’emploi des 55-64 ans et 15-24 ans, qui doit être confirmée», explique Stéphane Colliac, économiste France de BNP Paribas.
Moins d’inflation
Avec la réouverture de l’économie et, surtout, la guerre en Ukraine, le plus gros frein à la reprise devient l’inflation. Là aussi, la France s’en tire mieux que les autres, avec un taux harmonisé de 5,4% en rythme annuel à fin avril, contre 6,3% pour l’Italie, 7,8% pour l’Allemagne et 8,3% pour l’Espagne. «Cette inflation devrait continuer à s’accroître, pour passer de 4,8% à 5,5% (indice Insee) en juillet selon nos prévisions, avec des retards sur la répercussion de la hausse des prix alimentaires, et potentiellement de nouveaux bonds sur les prix de l’énergie jusqu’à la fin de l’année. Mais, là encore, l’Etat français a mis en place des mesures correctrices qui protègent mieux qu’ailleurs des pertes de pouvoir d’achat», ajoute Stéphane Colliac. Il anticipe une très légère hausse du PIB trimestriel de 0,1% à fin juin (après 0% fin mars), contre 0,2% pour la Banque de France.
L’équipe de BNP Paribas a étudié la baisse du pouvoir d’achat dans la zone euro avec la hausse spectaculaire des prix de l’énergie en mars (+44% sur un an dans l’IPCH d’Eurostat). Et si les gouvernements se sont mobilisés pour tenter d’amortir le choc, il ressort que les mesures correctrices sont largement à l’avantage de la France : -0,8% de baisse avec ces mesures contre -3,1% sans ; -2,4% avec et -2,8% sans en Allemagne ; -2,8% avec et -3,6% sans en Italie ; -4,2% avec et -5,2% sans en Espagne. Ces trois derniers pays ont été plus touchés par la composante énergie et ont moins réagi, avec des mesures pesant 0,8% à 1,4% du PIB, contre près de 2% pour la France (46 milliards d’euros, dont 8 milliards via EDF). Le gouvernement a établi un «bouclier tarifaire» composé de subventions aux ménages modestes («chèque énergie», «indemnité inflation»), d’un gel et d’un plafond des tarifs réglementés sur le gaz et l’électricité, dont qui doivent être prolongé de fin juin à fin décembre (ce qui est inclus le montant précité).
Plus de relance
«Ces mesures ont déjà permis de limiter la hausse de l’inflation de 2 points (4,8% au lieu de 6,8% pour l’indice Insee). Les prochaines, qui doivent être mises en œuvre après les législatives, porteront sur un ‘chèque alimentation’, la revalorisation du salaire des fonctionnaires et des retraites : avec un petit décalage dans le temps (comme le Smic remonté automatiquement de +2,65% en mai), mais des effets probablement positifs sur la reprise progressive de la consommation aux troisième et quatrième trimestres, et plus durablement pour les mesures permanentes», poursuit Stéphane Colliac.
Les économistes redoutent, en France comme ailleurs, des boucles prix-salaires incontrôlables, mais un taux de participation en croissance pourrait limiter les hausses de salaires. Celles-ci atteignent 3% uniquement dans les accords de branche avec des minima. L’incertitude générale pourrait limiter la contribution à la croissance de l’investissement privé, qui avait été moteur avec les dépenses publiques en 2021, rappelle aussi Dirk Schumacher. Mais l’économie hexagonale devrait bénéficier à plein de la reprise du marché aéronautique (3% du PIB et 12% des exportations de biens en 2019), et surtout de la réouverture du marché touristique (8,5% du PIB en 2019). «La contribution de ces composantes importantes du commerce extérieur au PIB devrait être nettement meilleure qu’en 2020 et en 2021, donc participer à soutenir la croissance», conclut Stéphane Colliac.