A la faveur de l’été, le Conseil d’Etat a rendu trois décisions qui risquent de profondément bouleverser l’économie des opérations de LBO et de transmissions d’entreprises.
Deux des trois décisions portent sur des schémas de transmission d’entreprises en LBO associant des investisseurs financiers à des salariés et dirigeants porteurs de bons autonomes (BSA) émis par le holding de tête, ainsi que d’options d’achat consenties par les investisseurs. Ces instruments, pour la souscription desquels les managers ont acquitté un prix, devaient leur permettre, en cas de performances minimales au dénouement du LBO, de percevoir une rétrocession de plus-value actionnariale.
Le Conseil d’Etat leur dénie le régime fiscal des plus-values de cession des valeurs mobilières pour les imposer en traitements et salaires soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Avantages et gains
La rapporteure publique, et à sa suite le Conseil d’Etat, identifient les avantages et gains susceptibles de résulter de ces outils de partage de la valeur actionnariale avec certains des managers et salariés et en définissent le traitement fiscal.
D’abord, lors de l’octroi de l’instrument (bon ou option), un prix préférentiel par rapport à la valeur réelle du bon ou de l’option peut être octroyé à son titulaire. Ce gain est imposable en traitements et salaires au titre de l’année d’achat ou de souscription du bon ou de l’option. Cette solution évoque un arrêt Barrière dans lequel la Cour de cassation avait conditionné la requalification en salaires à la démonstration que les bons avaient été acquis « en contrepartie ou à l’occasion du travail de leur attributaire à des conditions préférentielles ».
Ensuite, lors de la levée de l’option ou l’exercice du BSA, le gain correspondant à l’écart entre le prix d’exercice ou d’acquisition et la valeur de l’action à même date est imposable en traitements et salaires au titre de l’année de levée de l’option ou de l’exercice du bon.
Enfin, la cession d’un bon non exercé ou des actions issues de l’exercice des bons ou de l’option dégage un gain qui doit être regardé, en fonction de ses conditions de réalisation et lorsqu’il est la contrepartie des fonctions de salarié ou de dirigeant de l’attributaire des instruments, comme un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires.
Une transmission d’entreprises avant tout
Rendues aux conclusions la rapporteure publique qui assimile les instruments de package à des « mécanismes visant à insuffler chez les dirigeants sociaux d’une entreprise, une énergie passionnée comparable à celle d’un spéculateur », considérant « que l’acquisition (des bons ou option) […] ne constitue que le ticket d’entrée dans un pur système de bonus jusqu’à la cession », ces décisions méconnaissent profondément la logique des LBO.
Car autant un salarié n’acquitte aucun « ticket » pour entrer dans « un pur système de bonus » (pour reprendre les termes de madame la rapporteure), autant le bénéficiaire d’un management package acquitte un prix pour ces instruments, et opère ainsi un investissement exposé à un risque de perte.
Parce que ces instruments de partage de plus-value ne se substituent pas à la rémunération classique des dirigeants et que le LBO est avant tout une opération visant à la transmission d’entreprises, avant d’être une quelconque opération spéculative.
Parce qu’enfin les outils classiques d’actionnariat salarié que sont les BSPCE, les actions gratuites, les stock-options ou le contrat de partage de plus-value des articles L. 23-11-1 à 23-11-4 du Code du commerce sont certes gratuits, mais totalement inadaptés aux opérations de LBO, et que ces instruments de package permettent de corriger non seulement l’asymétrie d’information mais aussi la disparité de moyens financiers entre les investisseurs et les dirigeants. Espérons que le juge fiscal revienne à plus d’orthodoxie…
Jean-Louis Médus est professeur des universités et avocat.